Chapitre 1

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Chapitre 1 : Les jours heureux



C’était un bel après-midi de printemps. Un vent doux et frais soufflait de l’Est en provenance des mers orientales et faisait frémir le feuillage tout neuf des arbres de la forêt de Jode, emportant avec lui le parfum des fleurs des bois fraîchement ouvertes. Le ciel était bleu azur, le soleil brillait de mille feux et faisait étinceler les eaux de la rivière Tharga, dont le calme cours venait lécher les berges garnies de hauts roseaux se balançant doucement sous la brise.

Un bruit d’éclaboussure brisa un instant le murmure continu des eaux. Une grenouille venait de plonger depuis le feuillage d’un arbuste. Après s’être laissé couler jusqu’au fond, celle-ci se mit en mouvement par de souples mouvements de brasse. Elle évita de justesse le bec d’un héron qui, l’ayant repérée, s’était déjà imaginé en pleine délectation et s’enfonça dans les longues algues brunes ballottant dans le courant. Elle poursuivit sa route à travers ce bosquet aquatique, croisant au passage quelques alevins craintivement cachés. Elle regagna l’autre berge une vingtaine de toises vers l’aval de son point de départ et, après être passée dans les roseaux, elle s’engagea dans les fourrés. Peu de temps après, elle déboucha dans une grande prairie découverte.

Un bruissement se fit entendre derrière elle, la faisant sursauter. Des craquements de brindilles suivirent et un petit garçon se fraya un chemin dans les buissons. Il s’arrêta en apercevant la grenouille. Il ne devait pas avoir plus de dix ou onze ans, il avait les cheveux mi- longs châtains, même si les brindilles et la boue qui les parsemaient ne le laissaient pas vraiment deviner. En apercevant celle-ci, un grand sourire éclaircit la petite mine boueuse de l’enfant. En un bref instant, il attrapa la petite bête et la fourra dans la poche de sa tunique. Celle-ci était dans le même état que lui et, entre les taches fraîches de terre, pointait un peu de vert-kaki, vraisemblablement la couleur d’origine de la tunique.

L’instant d’après, il reprit sa course, courant au travers des hautes herbes, projetant derrière lui des gerbes de semences de pissenlits précoces. Les herbes lui arrivaient à la poitrine, mais cela ne l’empêchait pas de progresser à vive allure, effrayant quelques faisans flânant non loin de là. La douce odeur des fleurs printanières lui flattait les narines dans sa course. Un couple de fouines le regarda passer devant l’entrée de leur terrier avec curiosité avant de replonger dans le sommeil. Le sol commença à descendre doucement, accélérant davantage l’enfant.

Il ne paraissait pas devoir s’essouffler, il continuait de courir sans faiblir. Il arriva en vue de buissons de jeunes érables cachant une petite route de terre en contrebas. Alors qu’il passait ce taillis, il prit son pied dans des ronces folles proliférant sous le couvert des jeunes arbres et trébucha en un long vol plané se prolongeant par nombre de culbutes en suivant la pente devenue raide. Il atterrit dans une belle flaque d’eau stagnante dans une ornière en plein milieu de la route en un grand bruit d’éclaboussures.



- « Eh bien petit, à quoi joues-tu ? », demanda une voix après quelques secondes.


Il leva la tête et croisa le regard d’un vieil homme sur une charrette, tirée par un mulet. Il avait arrêté son véhicule de justesse en voyant l’enfant dévaler la pente comme un diable.


- « Rien de cassé ? », demanda-t-il, un peu inquiet.


Il descendit de sa charrette et aida le garçon tout dégoulinant à se relever.


- « Te voilà dans un bel état ! A-t-on l’idée de foncer ainsi, sans regarder où l’on met les pieds ? Que se serait-il passé si je ne regardais pas devant moi ? »


Le visage de l’étranger démentait ses réprimandes. Après avoir regardé le petit un bref instant de haut en bas, il le prit par l’épaule.


- « Alors, tu as perdu ta langue dans les ronces ? Pendait-elle donc jusqu’à tes chevilles ? Comment t’appelles-tu ? »

- « Brigard, Monsieur… », répondit le petit d’un air penaud.

- « Ah, eh bien je n’aurai pas à fouiller dans les buissons pour la retrouver, apparemment ! Je me présente : Térence, je suis marchand ambulant, même si le vide de ma charrette ne le laisse pas deviner. », dit le dénommé Térence en descendant un marchepied sur le coté de son véhicule. « Quel âge as-tu ? et d’où viens-tu, Brigard ? », ajouta-t-il en se retournant vers celui-ci.

- « De Bray, Monsieur, et j’ai dix ans! »

- « Eh bien, tu m’as l’air d’un petit bonhomme bien poli, dis donc. C’est justement là que je vais, tu veux que je t’y reconduise ? »

- « Oui, Monsieur. Ma maman doit m’attendre pour manger. »



Le vieil homme sortit un petit cadran d’une poche de son manteau de voyage, le consulta brièvement puis le remit à sa place.



- « En effet, l’après-midi arrive à sa fin. Ça me fait penser que je n’ai presque plus rien mangé depuis hier midi. Sais-tu me dire s’il y a une bonne auberge à Bray ? »

- « Oui, Monsieur, c’est ma maman qui la tient, et c’est la meilleure auberge du monde entier ! », répondit Brigard, le visage soudainement illuminé par un grand sourire innocent typiquement enfantin.



Le visage du marchand se fendit lui aussi d’un sourire. Il avait déjà le gamin à la bonne de par ses manières et son naturel franc. Ils montèrent sur la charrette et le vieil homme prit les rennes en main, après avoir relevé le marchepied. Ils se mirent en marche sous le couvert des érables bordant la route.


- « Mais, dis-moi, que caches-tu qui remue ainsi dans ta poche droite ? », demanda Térence sans quitter la route des yeux.


A cet instant, la petite grenouille passa la tête par l’ouverture de la poche et croassa. Elle était miraculeusement sortie indemne de la chute, indemne mais serrée et elle n’avait plus qu’une idée en tête : regagner sa mare. Brigard contempla les efforts de celle-ci pour sortir avec un petit sourire.


- « Que t’a donc fait cette petite malheureuse pour se trouver ainsi privée de sa liberté ? Seuls les brigands devraient être enfermés. Laisse-la donc partir… tiens, là, regarde, va la mettre dans cette petite mare. », dit le marchand en pointant d’un geste de la tête un plan d’eau entouré de hautes herbes sur le côté de la route.


Il arrêta la charrette pour permettre au petit de descendre relâcher la captive. Une fois posée sur le sol, celle-ci s’élança avec un joyeux croassement vers l’eau, dans laquelle elle plongea immédiatement pour se réfugier, soulagée. L’enfant la regarda un instant nager jusqu’au fond de la pièce d’eau d’un air songeur.
Enfin, il se retourna et remonta auprès du marchand.


- « Voilà qui est mieux. », dit celui-ci avec un clin d’oeil.


Ils continuèrent leur chemin à allure lente - c’est à dire aussi vite que le permettaient la vieille mule et le chemin capricieux. Brigard observa attentivement le vieil homme. Il avait un visage aimable, parcouru de rides harmonieusement disposées, des cheveux longs d’un blanc neige attachés en arrière en une queue, ainsi qu’une courte barbiche bien taillée de la même couleur. Il était vêtu d’un vieux manteau de voyage tout taché et abîmé par les voyages et les intempéries. On pouvait même encore y distinguer des miettes du dernier repas du marchand. Celui-ci était manifestement de grande taille et avait une carrure assez costaude, pour son âge. Une cicatrice brillante sous le soleil défigurait la peau de sa main droite. On pouvait également distinguer des tatouages sur la peau ridée de ses bras aux manches relevées. La cicatrice retint l’attention du garçonnet. Le vieillard surprit son regard interrogateur du coin de l’œil.


- « Morsure de Lobo. », expliqua-t-il sur le ton de la conversation. « Elle date de mon jeune âge. Je n’étais pas beaucoup plus vieux que toi. Je jouais à l’extérieur de mon village, tout comme toi, quand la bête m’a attaqué. Heureusement, des soldats passaient à proximité à cet instant et ils m’ont sauvé. Il s’en est fallu de peu, j’aurais pu perdre cette main et même plus. »

- « Qu’est-ce que c’est qu’un "Lodo" ? », demanda Brigard, franchement intrigué.

- « Un "Lobo". », rectifia machinalement le vieil homme. « C’est une sorte de loup - tu sais ce qu’est un loup, n’est-ce pas ? »

- « Oui, Monsieur ».

- « Eh bien, imagine un gros loup très costaud, capable de se tenir debout sur ses pattes arrières, un peu comme nous. Bien sûr, il se déplace surtout à quatre pattes, mais quand il se redresse, c’est souvent mauvais signe, un peu comme les ours. Il n’y en a pas dans cette région, tu as de la chance. », dit-il tout en jetant un regard distrait autour d’eux. « Tiens, nous arrivons en vue du portail. », ajouta-t-il en pointant devant eux du menton.



Ils venaient de tourner à l’angle d’un petit bosquet et, à environ cinquante toises devant eux, se tenaient des palissades de bois, dans lesquelles était aménagée une large ouverture permettant l’accès au village. Un garde en armure de cuir clouté se tenait sur le côté, un cimeterre à la ceinture. Il salua le marchand et le garçonnet à leur passage.



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MAJ 13/08/2011


Bray était un petit village typique des campagnes. Des maisons au toit de chaume et aux murs de pierres tirées des champs étaient implantées çà et là sans ordre prédéfini, autour du puits du village. Des poules picoraient sur les chemins, des chiens somnolaient devant certaines maisons, des enfants jouaient avec des épées en bois, des femmes se racontaient et commentaient les derniers ragots des environs, d’autres vaquaient à leurs occupations ménagères, des hommes s’attelaient à la construction d’une grange. Tout ici respirait le calme. Il n’en avait d’ailleurs jamais été autrement, aussi loin que Brigard se souvienne.


- « C’est là-bas, Monsieur. », s’exclama l’enfant en pointant le doigt sur un bâtiment un peu plus loin à leur droite.


Il montrait une maison plus grande que les autres. Une femme attendait sur le porche, les mains sur les hanches. Quand elle l’aperçut, elle se précipita vers lui et se lança dans une tirade colérique.


- « Bon sang ! Brigard ! Garnement va ! Où as-tu encore été traîner ? Près de la rivière, je suppose, vu ton état ? Je t’avais déjà dit et redit de ne pas aller si loin et surtout de faire attention à ne pas te salir ! Non mais regarde-moi ça ! Tu vas devoir aller te laver avant de manger. Allez descend de là et file te laver, je ne veux plus voir la moindre tache de boue ! Pire qu’un cochon ! », lança-t-elle en faisant de grands gestes avec les mains, le visage s'empourprant.


Brigard descendit un peu penaud de la charrette et rentra dans la bâtisse sous le regard réprobateur de sa mère. Une fois celui-ci hors de vue, elle se tourna vers Térence. Après l’avoir regardé de haut en bas, s’attardant de ses yeux perçants sur le vieux manteau rapiécé et la curieuse allure de ce voyageur elle s’adressa à lui, d’un ton soudainement plus calme.


- « Soyez le bienvenu. Je suis désolée de vous avoir fait assister à cela, mais ce gamin n’arrête pas. A croire qu’il ne pense qu’à partir à l’aventure. »

- « C’est tout à fait normal à son âge, vous savez, Madame. Tous les garçons passent par ce stade un peu vagabond, mais ça finit par leur passer un jour ou l’autre. », ajouta-t-il pour tenter de baisser la tension encore relativement présente. « Dites-moi, pourrais-je loger à votre auberge un petit temps ? J’ai fait un long voyage et j’ai besoin d’un peu de repos - et d’un bon repas -, j’ai épuisé le reste de mes provisions hier. »

- « Nous avons tout ce qu’il vous faut. Il y a des salles de bain, les lits sont changés toutes les semaines pendant que je fais le ménage, possibilité de repas au petit déjeuner, au dîner et au souper. C’est aussi moi qui me charge de la cuisine. C’est trente sous de bronze la nuit. », dit-elle sans reprendre son souffle, provoquant le soulèvement du sourcil gauche de Térence.

- « Mmmh, eh bien je crois que je vais me plaire ici. », dit-il après d’un air approbateur afin d’éviter le blanc qu’il sentait venir tout en détaillant le village. « Et vous pourriez vous occuper de ma mule ? », demanda-t-il en montrant la dite bête qui s’intéressait à un brin d’herbe.

- « Bien sûr, nous avons une petite écurie à l’arrière avec tout ce qu’il lui faudra. »

- « Tu entends ça Suzette ? », lança-t-il en se tournant vers sa monture - laquelle se contenta de lui jeter un coup d’œil distrait avant de se réintéresser à son brin d’herbe. « Tu seras aussi bien logée que moi ! »



Une fois descendu de sa charrette le vieillard mena sa mule par la bride à la suite de la mère de Brigard, à l’arrière de l’auberge. L’écurie en question comportait trois boxes de chaque côté d’une allée centrale au sol jonché de paille. La remise était pleine de ballots de paille n’attendant que de servir. Une fois la charrette parquée et la mule installée dans son boxe, Térence suivit la mère de Brigard vers l’auberge.

Le hall d’entrée dégageait une franche convivialité. Les murs étaient décorés de bouquets de fleurs des champs séchées, le sol était revêtu d’un parquet clair bien propre et le plafond semblait du même matériau, du pin sylvestre sans doute. Des chandelles, attendant le soir pour être allumées, étaient posées sur un petit meuble, devant une fenêtre qui occupait le fond du court corridor. Deux portes se tenaient au bout, de part et d’autre. Elles étaient toutes deux ouvertes et dévoilaient ce qui se cachait derrière. Celle de droite ouvrait sur une chaleureuse salle, où des tables et des chaises étaient placés par-ci par-là, et dont la partie gauche était occupée par un comptoir derrière lequel une autre porte s’ouvrait, sans doute vers les cuisines, comme le devina justement Térence.

Au milieu du mur du fond se trouvait une cheminée bien accueillante en pierre bleue, bien qu’aucun feu n’y brûle pour le moment. La porte de gauche donnait sur un escalier de bois, montant sans doute vers les chambres. Térence poussa un soupir de bien-être. Il sentait qu’ici, il pourrait enfin se reposer convenablement, avant de continuer sa route. La mère de Brigard se retourna vers Térence, l’air d’essayer de deviner l’avis de leur client quant à son auberge. Elle avait encore l’air jeune, ses cheveux étaient d’un blond très clair et ses yeux perçants étaient d’un bleu intense, au dessus d’un petit nez en pointe. Combien d’hommes avaient pu la courtiser dans sa vie ? Sans doute bien plus qu’on ne le croirait.




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MAJ 20/08/2011



- « Vous préférez une chambre à l’arrière ou vers l’avant ? », demanda-t-elle avec un léger sourire.

- « Oh, peu importe, du moment que ce soit bien calme, ce dont je doute que le contraire existe vraiment dans ce village. », répondit Térence en jetant un œil par la fenêtre.

- « En effet, Bray est un village très calme, bien que ce soit tout de même un lieu de passage. De nombreux voyageurs passent par ici pour éviter la route des marais de Gor pour se rendre vers le Sud. C’est ce qui fait marcher notre auberge. », dit-elle en tripotant un pli sur son tablier d’un air disant.« Ah oui, j’allais oublier - où ai-je laissé les bonnes manières - je m’appelle Rosie et je suis, comme vous l’aurez remarqué, la mère de Brigard. Il ne vous a pas ennuyé, j’espère ? »



Térence sentit qu’il ferait mieux de choisir ses mots pour que le gosse n’en ait pas plus à dos.


- « Que nenni voyons ! C’est moi qui lui ai proposé de monter après qu’il ait trébuché dans une flaque sur la route. Ça m’a fait plaisir d’avoir quelqu’un à qui parler et surtout qui me réponde, pas comme ma Suzette, bien qu’elle soit une brave bête. »


Rosie ne sembla tout d’abord pas vraiment convaincue, mais elle se reprit assez vite, laissant la place à l’esprit professionnel.

- « Combien de jours comptez-vous rester ? »

- « Oh je crois bien m’arrêter ici pour au moins quatre jours. J’ai quelques affaires à voir dans la région et ça me fera un point d’attache agréable, en plus d’un peu de repos. »

- « Très bien. Nous servons les repas à neuf heures le matin, à douze heures trente et à dix-neuf heures trente. Bien sûr, vous pouvez toujours passer au bar si vous avez besoin de vous rafraîchir un peu. Chaque chambre est équipée d’une bassine assez large s'y plonger. Je suppose que vous vous laverez avant le souper ? », dit-elle en le détaillant d’un regard perçant.



La question tenait plus de la suggestion que de la vraie question et Térence le remarqua bien. Même si elle ne payait pas de mine il sentait bien que cette jeune femme n’aimait pas être contrariée et qu’il valait mieux la tenir d’humeur joviale. C’est pourquoi il trouva préférable de s’incliner - et puis un bon bain lui ferait le plus grand bien.


- « En effet, après une si longue route un bain ne me fera que du bien avant un bon repas ! »

- « Ce sera mieux. Venez, je vais vous montrer votre chambre. », conclu-t-elle en l’invitant à la suivre d’un hochement de tête.



Elle le mena en haut de l’escalier, dans un couloir garni de quelques tapisseries représentant un même paysage à différents moments de l’année. Il y avait huit portes, quatre de chaque côté. Une table était disposée le long du mur gauche, au milieu du couloir. Une belle clepsydre à cadran y trônait, berçant le calme des lieux d’un léger glouglou.

Rosie ouvrit la seconde porte à droite et entra dans une petite pièce assez confortable. En regard de la porte, il y avait une cheminée dont l’âtre, encore éteint, contenait des bûches neuves prêtes pour allumer un bon feu. Les murs et le plafond étaient de bois clair, une fenêtre sur le mur droit donnait sur l’arrière du bâtiment et l’on y apercevait l’écurie. Une chaise rembourrée était placée à côté de la cheminée et trois autres le long du mur près de la fenêtre. Un lit de bruyère était accolé au centre du mur de gauche. Trois meubles de rangement se trouvaient dans cette pièce, l’un à côté du lit, un autre à côté de la fenêtre et le troisième à droite de la porte en entrant. Une table ronde trônait au centre de la pièce, à côté de la chaise rembourrée.

La propriétaire prenait manifestement grand soin de son auberge, car l’endroit était d’une propreté irréprochable, chose qui était encore relativement peu fréquente en cette époque. Térence émit un grognement de satisfaction en contemplant sa chambre. Il n’aurait pu rêver mieux. Il nota une baignoire jouxtant le meuble près de la porte, juste callée entre celui-ci et le coin du mur.


- « Je vais demander à Josiane de vous apporter de l’eau chaude pour votre toilette. Le nécessaire se trouve dans le meuble à côté de la baignoire. »

- « Très bien, tout cela est absolument parfait ! Je vous félicite pour la tenue de cette auberge ! Je ne peux pas dire en avoir souvent vu de si bien tenues. »



La mère de Brigard rosit légèrement au compliment, ajoutant encore à sa beauté. Elle marmonna un vague merci puis tourna les talons. Avant de fermer la porte derrière elle, elle se retourna et pointa la clepsydre eau qui se trouvait dans le couloir.

- « Ah oui, j’ai failli oublier, nous rechargeons l’horloge à eau tous les jours à midi. »

- « Je vois que votre auberge est dotée de ce qu’il y a de mieux actuellement en matière de mesure du temps ! Ça a dû vous coûter une fortune, non ? », complimenta Térence en détaillant l’étrange mécanisme en passant la tête par la porte.

- « Pas vraiment, mon frère est horloger à la capitale, ils nous a offerte celle-ci. »

- « Serait-ce le fameux "Pierard Chayon" ? »

- « Lui-même. »

- « Un homme très compétent et très professionnel qu’est votre frère. Toujours à l’heure à ses rendez-vous, par ailleurs. »

- « Mais est-ce vraiment si étonnant pour un horloger ? », conclut Rosie avec un sourire avant de prendre congé.



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MAJ 27/08/2011



Térence rangea son manteau sur une sorte de porte-manteau juste à gauche de la porte puis alla inspecter la cheminée. Celle-ci semblait également construite en pierre bleue et, au-dessus de l’âtre, trônait un vase. Il observa celui-ci plus en détail. Il était visiblement fait en porcelaine et ses motifs représentaient un chevalier aux prises avec un Dragon. La bête lançait sur le malheureux un torrent de flammes dont il ne pouvait se protéger que succinctement de son bouclier tendu devant lui.

Il resta là pensif quelques minutes jusqu’à ce qu’une jeune fille entre, en tirant un baquet d’eau fumante. Térence la détailla d’un coup d’œil. Elle avait les cheveux roux, le visage honoré de ravissantes petites taches de rousseur, un nez légèrement aplati au dessus de lèvres pulpeuses. Elle était plutôt mince et portait une robe de travail verte où saillaient deux petites bosses, témoins de la fraîcheur de la jeune fille.



- « Voilà pour le bain de Monsieur. Les essuies sont dans le premier tiroir de l’armoire de toilette. »

- « Merci bien. En parlant de toilettes, pourriez-vous me dire où celles-ci se trouvent ? »

- « C’est le meuble juste à côté de la baignoire. »

- « Non, je ne parlais pas de ça, disons que j’ai un petit besoin que j’aimerais soulager au plus vite. »

- « Oh… », elle rosit un peu - décidément, cela semblait être une manie ici comme il se dit.« Bien sûr, c’est en bas après le bar. »

- « Merci beaucoup. », fit-il avec un geste de la tête avant de descendre soulager ce besoin si pressant.


Une bonne heure plus tard quelqu’un frappa à sa porte. Il était justement en train d’essayer d’enfiler la deuxième jambe de ses braies.


- « Attendez une… aaaaah »


Son attention ayant été détournée, il trébucha dans un grand vacarme, entraînant le porte-manteau avec lui. Brigard ouvrit la porte à cet instant et le découvrit dans une posture quelque peu grotesque, couché par terre sur le côté gauche, la jambe gauche relevée, à moitié pliée. Térence releva la tête pour regarder l’enfant. Ce n’était plus le petit garçon tout sale qu’il avait rencontré, à présent il était tout propre tout comme lui-même. Brigard s’abstint de rire, ne voulant pas risquer de heurter leur invité. Celui-ci se releva sur le moment, un peu gêné, pour constater que la deuxième jambe était entrée convenablement pendant la chute. Quelque peu frustré il se tourna vers l’enfant.


- « Décidément, je n’ai jamais su m’habituer à ces braies-là. Que veux-tu ? »

- « Maman m’envoie pour vous dire que le souper est prêt. »

- « Ah ! j’avais bien failli oublier. Merci gamin. J’arrive tout de suite, juste le temps de… », il releva le porte-manteau et remit en place les quelques branches tombées.« Voilà ! »


Quand ils entrèrent dans la salle à manger éclairée par de grosses lanternes posée ci et là sur les tables, ils virent que tout était déjà prêt. Le délicieux fumet ne tarda pas à mettre Térence en appétit. Quatre jeux de couverts étaient installés à une table ronde décorée par une nappe rouge.

Dehors la nuit tombait déjà petit à petit. La mère de Brigard arriva, suivie de Josiane. Ils s’installèrent autour de la table autour d’un appétissant rôti de bœuf aux champignons des bois et un plat de salade assaisonnée avec une sauce à la ciboulette. Quelques tranches de pain étaient aussi disposées à côté pour qui en voulait. Ils se servirent chacun et commencèrent à manger. Pour Térence, qui n’avait rien mangé d’aussi bien préparé depuis des lustres, ce souper ressemblait à un festin. Il regarda un peu autour d’eux et constata le vide de la salle.


- « Vous n’avez pas d’autres clients ? », demanda-t-il entre deux bouchées.


La mère de Brigard haussa légèrement les épaules et poussa un soupir las avant de répondre.


- « C’est une période très calme. Il n’y a pas beaucoup de passage pour le moment. Vous êtes le premier depuis une semaine. Ce n’est pas très bon pour les affaires, mais il y a toujours eu et il y aura toujours des hauts et des bas. Si ça se fait, la semaine prochaine nous afficherons complet. », fit-elle en prenant une tranche de pain.

- « Il parait que la route du Sud est actuellement occupée par des brigands. M’est avis que la plupart des voyageurs ayant entendu cette rumeur préféreront encore faire le grand tour par les plaines de l’Ouest en suivant la limite des marais de Gor plutôt que de tomber entre leurs mains. », répondit Térence en prenant aussi une tranche de pain.

- « Vous croyez que ces brigands pourraient remonter jusque Bray? », demanda Josiane d’un air inquiet.

- « Personne ne peut le prévoir, mais c’est toujours un risque à prendre en compte. Il va falloir être vigilant dans les jours à venir et peut être envoyer chercher une protection armée au poste de garde de la forêt de Jode. »

- « S’il y a de telles rumeurs, pourquoi passez-vous par cette route ? », demanda Josiane en se resservant de salade.

- « Oh je n’ai pas à aller bien loin. Je me rends à la Grande Cascade, ce qui me fera donc quitter la route du Sud dès son début. »


Brigard leva les yeux de son assiette et le regarda d’un air interrogateur.


- « Et vous allez chercher quoi là-bas ? », demanda-t-il, un morceau de salade collé au menton.

- « Voyons, Brigard, combien de fois je t’ai dit de ne pas te mêler des affaires des autres ? », rouspéta sa mère alors qu'elle même le faisait un instant avant.

- « Allons, Dame Rosie, laissez-le donc. Je n’ai rien à cacher dans ce que je vais y faire. Un ami apothicaire a besoin d’Herbe du Galet pour l’une de ses préparations et il n’y en a que là qu’on en trouve dans le pays. »

- « Je pourrai venir avec vous ? », demanda le garçon en se levant de sa chaise, le regard plein d’espoir.

- « Brigard ! », tonna Rosie, le regard sévère.

- « Si tu le veux. As-tu déjà vu la Grande Cascade ? », demanda Térence, ignorant l’intervention furieuse.

- « Non c’est trop loin, maman veut pas que j’y aille... », répondit Brigard avec un regard en coin à sa mère.

- « Et pour une bonne raison ! C’est un endroit dangereux ! Et si tu venais à tomber dans l’eau ? Il est hors de question que tu y ailles ! », insista sa mère d’un air menaçant.

- « Mais maman… », protesta-t-il faiblement, le regard implorant.

- « Il n’y a pas de "mais". C’est comme ça. Tu retarderais monsieur, en plus ! »

- « Je vous assure qu’il ne me dérangera absolument pas. Ça me ferait quelqu’un à qui parler et sachez qu’il n’a rien à craindre tant qu’il sera avec moi. », répliqua le marchand, bien décidé à laisser sa chance au gamin.

- « Justement, tant qu’il sera avec vous… mais il a l’art de se soustraire à l’attention pour aller se fourrer dans les ennuis. »


Térence prit un air sceptique, regardant Brigard en arquant un sourcil.


- « Tu ne me fausseras pas compagnie, hein, Brigard ? », demanda-t-il d’un air presque sarcastique en regardant Brigard.

- « Non monsieur, je serai sage... », répondit l’enfant après un regard craintif vers sa mère.

- « Là, vous voyez ? Vous pouvez le laisser venir avec moi. »

- « Enfin... Josiane, vous ne dites rien, qu’en pensez-vous ? », fit Rosie, sentant la situation lui échapper et cherchant donc un renfort pour équilibrer ce combat inégal à deux contre un.

- « Je crois que Madame peut laisser aller le petit avec Monsieur. Ça lui fera découvrir du pays. Ça ne peut pas lui faire de mal. », répondit celle-ci en coupant son morceau de roti.


La mère de Brigard leva les yeux au plafond d’un air résigné et soupira.


- « Bon, je vois que tout le monde est contre moi. Soit, tu pourras aller avec lui, mais gare à toi s’il se passe quoi que ce soit ! », l’invectiva-t-elle d’un doigt menaçant.

- « Allons, je suis sûr qu’il sera sage. Je garderai les deux yeux sur lui. », assura Térence pour calmer le jeu.


Le souper se termina sous une certaine tension et, une fois qu’ils eurent fini, Rosie et Josiane débarrassèrent la table, aidées de Brigard dont le visage était étrangement souriant depuis qu’il avait reçu la permission d’accompagner Térence. Sa mère, par contre, même si elle ne l’exprimait pas, avait du mal à accepter d’avoir dû plier. Nul n’osait lui adresser la parole de peur de la voir cracher le feu aussi bien qu’un dragon.



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MAJ 04/09/2011


Térence remonta dans sa chambre et s’installa dans la chaise rembourrée près de la cheminée. Contemplant l’âtre inanimé, il se rendit compte qu’il n’avait pas très chaud. Il se releva et alla fouiller dans son manteau de voyage. Au bout de quelques secondes, il en sortit une curieuse petite bouteille, composée de deux récipients accolés l’un à l’autre. Il se pencha vers l’âtre, pressa sur la bouteille et deux liquides en sortirent en deux très minces jets, depuis deux ouvertures séparées. Dès que ceux-ci entrèrent en contact sur les bûches, de belles flammes apparurent et se propagèrent aux autres bouts de bois. Devant ce feu ronronnant comme s’il brûlait depuis des heures, il se réinstalla sur la chaise et resta là à contempler les flammes rougeoyantes danser à un rythme effréné. La douce chaleur que le feu répandait réconforta plus que tout le vieil homme, qui retira ses bottes pour tendre les pieds vers l’âtre. Petit à petit, le repas copieux, la fatigue accumulée ainsi que la sensation de bien-être commencèrent à le faire dériver vers l’abîme du sommeil. Quelqu’un frappa à la porte à cet instant, le tirant de ses songes de plus en plus profonds.


- « Entrez. », lança-t-il en rouvrant les yeux, quelque peu froissé d’être dérangé.


Celle-ci s’ouvrit et Josiane entra doucement, un briquet à amadou à la main.


- « Je viens pour allumer votre f… »


Elle resta un instant à regarder les flammes comme si elle avait du mal à comprendre ce qu’elle voyait.


- « Je vois que Monsieur s’en est chargé de lui-même et d’une belle façon apparemment. Comment avez-vous fait pour avoir de si belles flammes en si peu de temps ? »

- « J’utilise toujours un peu de napalm, c’est une solution très pratique, surtout quand on voyage beaucoup par tous les temps. »

- « Du napalm ? Qu’est-ce que c’est ? »

- « C’est une substance obtenue par le mélange de deux autres et qui s’enflamme au contact de l’air. C’est le procédé utilisé par les dragons pour cracher du feu. », expliqua-t-il comme s’il donnait cours à un élève en montrant la petite bouteille posée sur la table.


La servante avait l’air intriguée et regardait fixement la petite bouteille que le vieillard montrait.


- « Mais… mais comment avez-vous pu vous en procurer ? Vous n’avez tout de même pas… »

- « Oh non, je ne suis pas fou au point de m’attaquer à un dragon, si c’est ça que vous pensez, ma petite. Je l’ai acheté à un aventurier sur le marché de LondBridge. Il disait l’avoir tiré de la bête qu’il avait tuée la veille, mais si vous voulez mon avis, ce gars était trop couard que pour oser s’aventurer à plus de cinq lieues d’un dragon en pleine possession de ses forces. Les vieux dragons vont sur la Montagne de Feu pour y mourir et il en venait, à en juger par l’odeur de soufre qu’il dégageait encore. Il lui aura suffi de le récupérer sur un cadavre. Ça expliquerait qu’il ne soit pas de très bonne qualité. Ça m’a coûté quatre sous d’or, mais on va longtemps avec cette quantité, aussi petite soit-elle. »

- « Et vous ne craignez pas que la bouteille fuie et que votre manteau prenne feu ? »

- « Oh, pour ça non, cette bouteille est spécialement conçue pour contenir des produits dangereux. Mon ami apothicaire me l’avait donnée il y a quelques années en échange d’un service. », précisa-t-il lui tendant la bouteille afin qu’elle puisse mieux la voir.

- « Ah… eh bien dans ce cas il n’y a pas de danger. », dit-elle sans grande certitude en regardant la petite bouteille pas plus grande que la paume de la main avec appréhension. « En tout cas, je vous conseille de ne pas reparler de votre petite promenade du côté de la Grande Cascade à Madame. D’habitude personne n’ose jamais insister ainsi avec elle et je crois qu’il lui faudra un ou deux jours pour passer l’éponge. »

- « Je l’ai bien senti, mais je vous remercie de me prévenir. Vous m’avez soutenu, sans quoi je pense qu’elle serait restée inflexible. »

- « De rien, Monsieur. Mais je trouve aussi qu’elle en fait parfois trop avec Brigard. S’il n’en tenait qu’à elle, il devrait rester sagement à jouer ici près de l’auberge. Enfin… Passez une bonne nuit. », dit-elle en se retournant vers la porte.

- « Josiane, attendez ! », s’exclama Térence.

- « Oui monsieur ? »

- « Et le père du gamin, où est-il ? »

- « Disparu, alors que Brigard n’avait que trois ans… personne ne l’a jamais revu. Il était parti chercher du bois… »

- « Oh je vois… »

- « Monsieur a-t-il d’autres questions ? »

- « Non non, ça ira. Merci bien. »


Elle s’inclina légèrement puis ressortit en fermant délicatement la porte. "Personne n’ose jamais insister ainsi avec elle"… apparemment sous ces traits si beaux se cacherait une vraie tigresse. Térence l’avait bien pressenti au premier regard. Et le gosse, privé de son père si tôt dans la vie… Il se rassit sur sa chaise, les pieds vers le feu, et retourna à ses méditations. Cette fois-ci, le sommeil revint à la charge et eut raison de lui. Sa tête se laissa aller sur son épaule et il s’endormit paisiblement, bercé par la douce chaleur du feu ronronnant et crachotant.

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